Chronique d’une journée de repos sur les routes du JDT
Après une semaine d’efforts herculéens, les forçats de la e-route méritaient bien un peu de repos. Mais à quoi nos héros des temps modernes peuvent-ils occuper cette accalmie ? Quels sont leurs secrets pour trouver le courage de poursuivre leur épopée ?
Sur les hauteurs de Cauterets, la caravane du e-tour a cessé pour un temps son charivari. De loin, le long cortège des bus high-tech des équipes en compétition posé à flanc de montagne semble bien calme. Pour autant, au fur et à mesure que nous nous approchons, l’activité se révèle plus dense qu’au premier regard.
En effet, des cris parviennent rapidement à nos oreilles. Autour d’une table de camping en formica, deux directeurs sportifs s’égosillent. L’un s’arrache les cheveux à expliquer le fonctionnement d’un dérailleur à Ahcène tandis que l’autre éructe dans l’espoir de faire intégrer celui de son réveil à Paulo. Les deux hommes sont en sueur.
À quelques mètres seulement, nous voyons débarquer Papizin, débraillé et l’air hagard. Il hurle à tout-va, exige que quelqu’un lui réponde et qu’on lui dise si le jeudutour va bientôt partir et si son ami André Garrigade est bien inscrit. Le coursier est aux abois quand, soudain, deux infirmiers surgissent et lui enfilent un drôle de maillot aux manches cousues à l’arrière.
A peine plus loin, Jules manifeste son mécontentement. Le port de la couche, certes indispensable pour ne pas indisposer le reste du peloton, pose des problèmes d’aérodynamisme selon lui et explique à ses yeux la perte des secondes qui le séparent de la tête de course. Son frère, Martin, tente de le rassurer en même temps qu’il cherche à lui enseigner son premier mot. Le terme choisi pour le petit frère est « bicyclette ». La tâche s’annonce ardue.
Non loin du clan, Vanina et Michel pestent après Mail. Filière de l’équipe Maillard, les Sautonnie ne sont pas logés à la même enseigne que la maison mère. « C’est injuste que les coureurs de l’équipe première dorment dans des hôtels de luxe tandis que nous nous partageons la banquette arrière du véhicule de course (NLDR : une Peugeot 504 fatiguée, probablement celle qui a servi au tournage de GhislainLambert). Ca ne facilite pas l’éclosion des jeunes talents ! » se lamente Vanina.
Des cris plus joyeux nous parviennent aux oreilles. Un enterrement de vie de garçon ? Pas le moins du monde mais Andy Schneck et la Banane Charentaise en pleine préparation. Ils déboulent bras dessus bras dessous affirmant haut et fort que le secret des champions réside dans l’alimentation. Ils en sont à leur troisième bouteille d’armagnac. Une technique transmise au bataillon de Joinville, nous disent-ils. « Que du naturel ! Du fruit, du fruit, du fruit ! Goûtez, on sent bien le fruit » déclame la Banane qui s’effondre, anéanti par l’effort. Andy, mégot à la bouche, rajoute une déclaration très approximative qui semble porter sur l’importance du sommeil et de la récupération avant de s’affaler sur son canapé en skyaux couleurs de la discothèque locale dans laquelle les compères ont établi leur camp d’entraînement. Le protocoleest rodé, c’est admirable.
Un peu plus loin, l’ambiance est morose. Assis sur un banc de fortune, Robbie raconte à qui veut bien encore l’écouter le temps jadis, l’époque bénie où les coureurs jouaient après l’heure un jour sur deux et radote de vieilles anecdotes qui font, il est vrai, la légende du jeudutour, comme l’année où Deback avait réussi à jouer trois fois Alaphilippe en quatre étapes. « Aujourd’hui, le e-cyclisme est aseptisé. Les coureurs sont réglés comme des robots. Finies, les décapitations en place publique qui animaient le passage de la caravane et faisaient la joie des petits comme des grands… » se lamente-t-il, un filet de bave à la commissure des lèvres que rejoignent quelques larmes de crocodile.
Nous progressons encore quand une silhouette familière se distingue à l’ombre d’un pin parasol. C’est l’Aigle de Clermont-Ferrand, concentré et courbé qu’il est à griffonner un bout de papier. L’ex petit Mozart du e-cyclisme devenu Richard Clayderman, en est à sa huitième autobiographie en autant de participations. Le vieux beau vend désormais davantage de bouquins qu’il ne soulève de bouquets. Son entourage est inquiet. Le teint blafard de la vedette trahit moins les routes d’entrainement que les soirées en compagnie de Frédéric Beigbeder ou de David Pilleyre.
Il n’est guère dérangé par Gaoutcho qui sifflote en appliquant une crème après-soleil sur sa peau basanée. Il faut dire que le baroudeur n’a pas passé beaucoup de temps à l’ombre du peloton. Pendant qu’il s’affaire, Fofie vérifie pour lui les prédictions météo pour demain sur les horaires en avance mais surtout en retard des temps de passage prévus par les organisateurs.
Un autre semble moins serein et ce n’est ni plus ni moins que le vainqueur sortant. Yo est soucieux. En dépit d’une préparation aux petits oignons, les sensations ne sont pas là. Il fait les cent pas devant son bus plaqué or acquis à la suite de son triomphe de l’an dernier. Pendu à son cellulaire hors de prix, il échange nerveusement avec son agent. L’idée d’une nouvelle résidence secondaire à proximité de celle de NeymarJunior était peut-être prématurée d’autant que les amendes pour atteinte à l’environnement s’annoncent pharamineuses.
Dans la pénombre, enroulé entre deux rochers comme son habitude, le Cobra a perdu de sa superbe en même temps que son sifflet. Perturbé par ses nouvelles fonctions de commissaire et des démêlés avec le fameux marabout impliqué dans l’affaire Pogba, il ne sait plus où donner de la tête pour la plus grande joie de Yogi, son rival local, titillé par la langue de vipère. Les deux partagent désormais le goût des profondeurs.
L’ambiance n’est guère plus joyeuse du côté de chez El Mugre. Une fois de plus, le poids du maillot s’est révélé trop lourd. Leader encore il y a quelques jours, le voilà englué dans le ventre mou… Le dilemme est grand. Viser encore la tête ou plutôt le maillot noir de Paulo ? Le breafing tactique bat son plein.
Josie, elle, est radieuse. Solidement installée au sommet de la hiérarchie, elle dégage une grande impression de calme. La preuve en est, aujourd’hui, elle n’a envoyé que soixante-douze messages au Directeur de course pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’étape et que son vote pour demain avait bien été enregistré et ce, alors qu’il est déjà neuf heures et demiepassées.
Elle n’est même pas dérangée par le brouhaha et le va-et-vient des admiratrices de Lulu qui viennent se délecter de son style et de ses muscles saillants. L’idole déchaine toujours autant les foules et enchaine les selfies. Les champions sont éternels…
Milo, lui, aimerait pourtant du changement. Il trouve que le e-cyclisme s’encroute et imagine des évolutions. Il se dit qu’on devrait passer à des équipes de onze, s’affranchir de la bicyclette et jeter un ballon au milieu de la mêlée. Son père, Ben, doute toutefois que la FJDT voie ça d’un bon œil.
La longue enfilade aux couleurs chamarrées des bus home s’étend sur des hectomètres comme une guirlande de Noël en plein mois de juillet. Le JDT n’a jamais été aussi mondialiséeet polyglotte avec pas moins de soixante-et-onze coureurs. Beaucoup n’ont pas encore acquis la notoriété de ceux que nous avons cités, certains en sont même à leur premier pas dans la e-boucle. Leurs ambitions et leurs espoirs sont pour autant immenses. En témoigne notamment la présence dans les dix premières place du classement général de Max la Menace, Sam et deBenbacker au milieu desquels La Braise, vétéran aux treize participations fait figure d’ancêtre. Le conflit s’annonce donc global, la lutte internationale et l’issue incertaine entre les générations. À ce niveau de compétition, ce sont souvent les détails qui font la différence. Dans une semaine déjà, nous devrions avoir un aperçu d’une véritable hiérarchie et saurons ainsi qui aura le mieux mis à profit sa journée de repos. Mais d’ici là, la route du jeudutour qui reprendra son cours dès demain est encore longue…
Lulu
Grand Reporter au JDT Libéré